TAI réagit au Projet de Politique culturelle de la Ville de Montréal 2025-2030
De gauche à droite : Amélie Duceppe (Théâtre Duceppe), Stéphanie Laurin (Théâtre Denise Pelletier), Céline Marcotte (Théâtre du Rideau Vert) et Rachel Billet (TAI)
Mémoire présenté dans le cadre des consultations sur le Projet de Politique de développement culturel de Montréal 2025-2030
Théâtres associés – présentation
Théâtres associés institutionnels (TAI) regroupe les onze institutions théâtrales francophones du Québec qui disposent d’une salle attitrée où elles présentent des saisons théâtrales. Neuf de nos membres sont situés à Montréal.
Nos membres produisent annuellement des saisons théâtrales qui font travailler tout un écosystème incluant entre autres les interprètes, les personnes conceptrices et artisan·es, les technicien·nes, de même que de nombreux travailleur·ses culturel·les.
Ainsi, nos membres sont des employeurs majeurs qui contribuent au cœur créatif de Montréal.
Au mandat de producteur s’ajoute celui de diffuseur: nos membres desservent près de sept cent mille spectateur·rices par année à Montréal, soit près de 20% du public des arts vivants de Montréal, toutes disciplines confondues, participant ainsi activement au rayonnement de Montréal et à son statut de Métropole.
Autrement dit, un·e spectateur·rice sur cinq à Montréal assiste à une représentation chez un de nos neufs membres Montréalais:
- Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
- Théâtre Denise-Pelletier
- Théâtre de Quat’sous
- Théâtre Duceppe
- Théâtre du Nouveau Monde
- Théâtre du Rideau Vert
- Théâtre Espace Go
- Théâtre La Licorne
- Théâtre Prospero
Les enjeux auxquels nos membres font face sont nombreux: reprise des activités après de multiples fermetures, inflation, coûts liés à leurs lieux qui explosent bien au-delà de l’inflation, crise des médias, rareté de la main d’oeuvre, pression sur les modèles d’affaires, difficultés de lever des fonds privés, transformations démographiques, changement dans la façon et la fréquence de la consommation culturelle… c’est une tempête parfaite, à laquelle s’ajoute le gel du financement public aux trois paliers gouvernementaux.
Au nom de tous·tes les artistes et travailleur·ses culturel·les que nous engageons, au nom du public que nous accueillons en nos murs, nous vous demandons de porter attention à notre mémoire.
L’importance d’agir dès maintenant.
Nous saluons l’immense exercice que représente l’actualisation de la politique culturelle de Montréal. Nous saluons la reconnaissance de la culture dans la vision du développement de Montréal, celle de son rôle dans l’épanouissement collectif et individuel des citoyen·nes. Nous sommes aussi d’avis qu’elle est au cœur des enjeux d’identité collective et d’intégration sociale, et que ses impacts sont majeurs sur la résilience et la cohésion citoyenne.
Nous nous reconnaissons dans les constats que la politique énonce, de même que dans ses principes directeurs. Nous comprenons la vision de la Ville, orientée de façon légitime vers les citoyen·nes.
En revanche, nous nous désolons que cette vision ne mentionne ni les créateur·rices qui y auront contribué, ni les institutions qui auront permis de mettre en lumière leur travail. Nous nous désolons que les moyens mis de l’avant dans le reste de la politique ne laissent présager d’aucune façon une amélioration des conditions déplorables dans lesquelles vivent les artistes, pourtant clairement énoncées dans les constats de ce même projet de politique culturelle.
Ainsi, si en 2030 les arts auront permis d’accéder à une qualité de vie exemplaire pour l’ensemble des citoyen·nes de Montréal, sans modification du présent projet de politique, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que cela aura été atteint au détriment d’une amélioration des conditions de travail des artistes et des travailleur·euses culturel·les, en raison d’un manque de reconnaissance et de financement des institutions qui les engagent et de celui du Conseil des arts de Montréal, chargé de les soutenir.
La reconnaissance des cycles de création et production artistique, et des conditions de pratique
Le projet de politique culturelle souligne que “Les artistes jouent un rôle essentiel dans l’enrichissement de notre société et leur travail doit être reconnu à sa juste mesure”. Le texte poursuit en affirmant vouloir conséquemment reconnaître la valeur culturelle en faisant de la Ville un “diffuseur exemplaire”.
Il semble y avoir un oubli, car la diffusion, ne peut exister sans les cycles de création et de production qui la précèdent. Or ceux-ci auront lieu dans des conditions financières souvent déplorables, au détriment des conditions de travail des artistes, en raison du peu de soutien offert par le Conseil des arts de Montréal, parce que lui-même non reconnu adéquatement par l’administration municipale dans son projet de politique culturelle.
Au dernier exercice quadriennal de 2024, permettant aux organismes de se projeter pour les quatres prochaines années, il a manqué, au CAM, 5,8 M$ pour soutenir tous les organismes qui s’étaient qualifiés auprès des comités de pairs, soit moins de 2% du budget consacré à la culture. Ceci a pour conséquence de plonger les organismes et leurs équipes dans des conditions fragiles où l’équilibre budgétaire devient inatteignable.
Dans ces conditions où les cycles de création et production sont de moins en moins soutenus, comment prétendre alors être un diffuseur exemplaire en accordant un cachet dit “exemplaire”, mais pour une seule représentation dans une Maison de la culture ? Cet aveuglement des conditions de travail des artistes et des travailleur·euses culturel·ses tout au long de la chaîne de production doit cesser, et cela doit se faire via un meilleur soutien par le Conseil des arts de Montréal.
Nos membres, dont le rôle va bien au-delà de la seule diffusion, puisque leur effet structurant sur l’entièreté de la chaîne de création-production-diffusion est indéniable, ont vu leur soutien gelé malgré l’importante inflation, impliquant nécessairement un recul dans leur capacité d’agir et de maintenir de bonnes conditions de travail.
De plus, nous ne pouvons pas passer sous silence que l’abordabilité d’une métropole contribue à son effervescence artistique. La crise du logement et l’importance de l’inflation sont des facteurs qui fragilisent les artistes, affectant leur capacité à habiter une ville qui voit naître leurs créations. Il serait contradictoire qu’une métropole culturelle forte et vibrante soit dans les faits inhabitable pour les artistes qui la font rayonner. L’écosystème entre artistes, organismes et institutions s’opèrent en codépendance alors que l’un alimente l’autre. Si un maillon de la chaîne de création est affecté, c’est le milieu au complet qui en pâtit.
Revendication 1
Nous demandons à ce que l’amélioration des conditions de pratique et de vie des artistes et des travailleur·euses culturel·les soit une mention clairement inscrite dans la vision de la Politique de développement culturel de Montréal et qu’elle soit accompagnée d’actions concrètes. |
Une ville partenaire de son coeur créatif
Si les intentions en lien avec le développement du cœur créatif (artistes, organismes) sont mentionnées, la façon d’y arriver nous semble étonnante, et bien timide.
Le rôle du Conseil des arts doit y être mieux expliqué: organe paramunicipal, c’est une vraie démocratie culturelle qui s’y déploie, puisque ce sont des comités de pairs qui notent et recommandent les projets à soutenir. Véritable bougie d’allumage, le Conseil est actif auprès d’artistes de toutes origines, vivant sur l’ensemble du territoire. Parce qu’il collabore avec les Conseils des arts et des lettres du Québec et le Conseil des arts du Canada, il sait agir en cohérence, et en complémentarité, et ce, pour les artistes et pour le public de Montréal. C’est le bras indépendant qui est branché sur l’écosystème pour le soutenir et préserver son impact auprès du public montréalais.
Sans le Conseil des arts de Montréal, point de projets structurants pour l’écosystème, point de stabilité pour les artistes et les organismes, point de création et de production permettant ensuite d’alimenter tout un réseau de diffusion sur l’ensemble du territoire.
Malheureusement, le budget du Conseil a été gelé lors du dernier exercice budgétaire, ne permettant pas d’indexer le soutien financier qu’il offre à l’écosystème créatif de Montréal, et ce, alors que l’inflation a été très importante. Comment reconnaître dans une politique l’importance des artistes et des organismes, et du même souffle en couper la capacité d’agir en ne mettant pas au cœur de sa stratégie le levier que représente le Conseil des arts de Montréal ? Comment demander aux acteurs culturels de changer leurs façons de faire, et même d’en faire plus (ex. sortir des lieux traditionnels), sans leur donner les moyens de ces nouvelles exigences?
Plusieurs de nos membres ont participé à l’atelier qui portait sur le cœur créatif et nous nous désolons de ne pas retrouver ici ce qui y avait fait consensus, à savoir une reconnaissance du rôle essentiel du Conseil des arts de Montréal et un budget conséquent, qui serait ensuite indexé. Où sont allées ces recommandations qui ont pourtant été chaleureusement applaudies?
Revendication 2
En pleine adéquation avec la vision, les principes et les orientations énoncées dans le projet de Politique de développement culturel de la Ville de Montréal;
Considérant les enjeux énoncés dans le document et ceux rappelés dans la partie 1 de ce mémoire, notamment la précarisation de notre milieu dont la pénurie de main d’oeuvre est l’une des conséquences, le sous-financement public des arts et de la culture, le besoin de renouveler les liens avec les publics dans un contexte post-pandémique et l’effritement du rayonnement de Montréal à titre de métropole culturelle;
Considérant les programmes d’aide mis en place par le CAM, son expertise reconnue, son lien de proximité avec le milieu culturel montréalais, sa redistribution des allocations décidée par jurys de pairs, son soutien avéré pour la relève et les artistes émergents, son leadership en termes de représentativité, d’équité et d’inclusion;
Considérant que l’indexation répétée du budget du CAM sous le niveau de l’inflation depuis 2021 et son gel pour 2025 représentent une menace grave pour le coeur créatif de Montréal;
Considérant les demandes d’aides financières en augmentation formulées par les clientèles du CAM et les orientations adressées par le projet de Politique de développement culturel de la Ville de Montréal et dont le CAM aura la responsabilité;
Nous réclamons que la contribution de l’agglomération montréalaise au budget du Conseil des arts de Montréal soit portée à 30 M$ d’ici 2030 contre 21,9 M$ en 2024 et 2025, soit une hausse annuelle moyenne d’environ 6,5 %. |
Prévisibilité
Comment gérer un organisme de façon prévisible et responsable en sachant que l’apport public diminue nécessairement chaque année, avec un possible – mais incertain – rattrapage aux quatre ans? Les montants octroyés lors des exercices quadriennaux devraient suivre l’inflation chaque année.
Il est donc impératif que ce rôle soit reconnu à même la politique et ce, de façon prépondérante, afin qu’il ne soit pas questionné d’une administration à l’autre, et que son financement, et donc sa capacité d’agir, soit prévisible grâce à une indexation, et donc maintenu dans le temps, tel que le recommande même la Chambre de commerce de Montréal dans son étude. C’est la seule façon de préserver le cœur créatif, et la seule façon de conserver un statut de métropole culturelle francophone.
Revendication 3
Nous demandons à Montréal davantage de prévisibilité pour le budget du CAM pour les années à venir. |
Mutualisation (objectif 11)
Puisque le budget du Conseil des arts (21,9 M$) ne représente que 7% du budget en culture de la Ville (307 M$), il nous semble insensé de s’attendre à ce que la clientèle soutenue par le CAM, celle qui dispose donc de moins de ressources, doive de plus les mutualiser.
Car pour mutualiser, encore faut-il avoir des ressources à partager, ou avoir des moyens pour en acquérir de nouvelles avec d’autres joueurs. Malheureusement, nous sommes à court de tout: nos équipes travaillent d’arrache-pied pour des salaires qui ne sont pas compétitifs avec les autres secteurs de l’économie, nos espaces sont occupés mur à mur, et développer de nouvelles activités qui seraient mutualisables exige des moyens financiers qui nous font défaut. De plus, la mutualisation requiert du temps, que nous n’avons pas, étant déjà bien occupé·es à faire plus avec moins.
Par contre, nous entendons bien qu’il y aurait là des pistes qui semblent être porteuses de solutions. On se demande cependant pourquoi, par les exemples donnés, elles ne semblent concerner que des projets hors du champ d’action de la ville. En effet, la mutualisation pourrait concerner, par exemple, les Maisons de la culture. Pourquoi ne pas les encourager à sortir de leurs lieux traditionnels pour aller, par exemple, vers les organismes?
Voici deux exemples plus précis:
- Rares sont les organismes qui ont les moyens d’engager quelqu’un à la médiation, ne pourrait-il pas y avoir une mutualisation de cette ressource des Maisons de la culture avec les organismes soutenus via le Conseil des arts, et ainsi faire un lien avec les citoyen·nes? Voilà une avenue de mutualisation qui nous semblerait fort porteuse et qui permettrait d’atteindre les objectifs du présent projet de Politique culturelle.
- Lors des matinées scolaires, certains de nos membres doivent payer pour des services de police afin de limiter l’accès aux voitures pour permettre aux autobus scolaires de déposer les élèves devant les théâtres. Ce service pourrait-il être offert?
Revendication 4
Nous demandons à la Ville de Montréal de considérer la mutualisation de façon plus large en mettant à profit ses propres biens et services. |
Métropole culturelle forte et vibrante
Comment célébrer ce statut sans identifier, ni reconnaître, le rôle des institutions culturelles qui animent la ville comme étant les piliers de cette Métropole culturelle forte et vibrante ?
Si Montréal a pu ainsi se développer, c’est grâce à la vitalité artistique et culturelle qui émane de l’ensemble du milieu, soit des artistes et des institutions. Pour conserver ce statut de métropole, les organismes doivent pouvoir être en mesure de créer de façon audacieuse. Pour que la production locale puisse demeurer de renommée mondiale et qu’elle fasse rayonner Montréal à l’étranger, il est essentiel de la soutenir adéquatement et ce, avant même de penser financer la venue d’organismes internationaux.
Le Conseil des arts doit demeurer au centre de la stratégie de la Politique culturelle pour être le socle qui soutient les piliers que sont les institutions qui animent la cité, et qui lui permettent de maintenir son statut de métropole culturelle forte et vibrante.
Revendication 5
Que le rôle des institutions culturelles soit reconnu par la présente Politique comme maillon essentiel au statut de Métropole culturelle forte et vibrante.
Que le Conseil des arts soit reconnu comme le socle qui soutient ces institutions, et donc, par extension, que soit reconnu l’apport du Conseil au statut de Métropole culturelle. |
Conclusion
Bien que la « Politique de développement culturel établisse un cadre pour organiser le développement et déterminer des priorités au service de la population » (p.3), nous tenons à insister, dans ce mémoire, sur le fait que cela ne doit pas se faire au détriment d’un secteur culturel montréalais fragilisé.
En effet, c’est uniquement avec un secteur culturel en santé, avec des institutions fortes capables de donner des conditions permettant aux artistes et aux travailleur·euses de vivre de leur art et de leur travail, que Montréal pourra offrir à ses habitant·es une expérience qui contribuera à leur épanouissement, renforcera le tissu social partout sur le territoire et consolidera le rôle de la ville en tant que métropole culturelle francophone d’envergure.
Nous plaidons donc pour un rééquilibrage de la vision que véhicule ce projet de Politique de développement culturel afin qu’elle soutienne véritablement le milieu culturel montréalais, et qu’elle considère pleinement le bien-être de tous les citoyen·nes, y compris les 110 000 artistes et travailleur·euses culturel·les qui font battre le cœur créatif de Montréal.
Pour visionner la présentation orale du 11 novembre 2024 (à 1m47).